À la tête de la PME Agesys (70 collaborateurs, 6,5 M€ de CA en 2018), basée à Noyon (Oise) et spécialisée en solutions informatiques aux entreprises, Christophe Thuillier a instauré en 2013 le concept d’entreprise libérée, un mode de management innovant qui fait l’unanimité auprès de ses employés et qui est, avant tout, source de croissance économique.
Vous dirigez Agesys depuis 2009. Sur quoi repose votre activité ?
Christophe Thuillier : Nous intervenons auprès des grands groupes et des PME de plus de cinquante salariés dans deux domaines : le maintien et la supervision des serveurs informatiques ainsi que l’assistance utilisateurs pilotée à distance ou chez nos clients directement. Notre deuxième activité consiste en la mise en place de plateformes collaboratives plus intuitives pour accompagner les employés vers de nouveaux usages en entreprise et mettre fin, par exemple, aux serveurs de fichiers, messageries ou encore logiciels Excel… L’idée est d’aller plus loin que l’intranet et de pouvoir partager davantage d’informations entre les salariés. Nous avons fait 6,5 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2018 et tablons sur plus de 10 % de croissance en 2019. À terme, nous souhaitons développer des applications mobiles autour du bien-être en entreprise. Au départ, nous avons conçu des outils pour nos propres collaborateurs. Notre objectif, désormais, est de les proposer à nos clients. La santé au travail est un marché très porteur.
Quelles raisons vous ont poussé à déployer le concept d’entreprise libérée au sein d’Agesys ?
CT. : Il y a plusieurs éléments déclencheurs. C’est d’abord une conviction personnelle. J’ai un goût prononcé pour la liberté et j’avais envie de partager ce goût avec mes collaborateurs. Généralement, le choix des collaborateurs sur de nombreux paramètres reste limité en entreprise. J’ai opté pour un autre fonctionnement : je leur laisse le pouvoir de choisir leurs congés, leurs formations, leurs primes d’investissement, leur bureau ou encore leur véhicule de travail. L’idée est de remettre l’économie au service de l’homme et de considérer l’humain avant le business. D’autre part, depuis mon arrivée il y a 20 ans chez Agesys, qui employait alors quatre collaborateurs, je me suis aperçu que plus une entreprise grossit, plus l’esprit start-up se perd. Je voulais avant tout retrouver cet esprit d’équipe.
Comment le concept s’est-il mis en place dans votre entreprise ?
CT. : Progressivement. Le projet a été mené en collaboration avec les salariés. Nous travaillons dessus depuis sept ans. Nous sommes allés à la rencontre d’entrepreneurs en Belgique qui ont franchi le pas, pour comprendre et nous en inspirer. Les pays scandinaves sont également à la pointe sur ce type de management.
Nous avons lancé un large programme de « despacialisation », c’est-à-dire sans point fixe de travail. Les employés peuvent travailler de là où ils le souhaitent, que ce soit du siège de l’entreprise, du domicile, d’espaces de coworking ou encore parfois d’autres régions ou de l’étranger, tant que le travail est fait.
« Le taux d’absentéisme est très faible et le turn-over ne dépasse pas 5 %. »
Qu’est-ce que signifie une entreprise libérée au niveau du management des équipes ?
CT. : L’entreprise libérée s’appuie sur trois types de management. Le management personnel, c’est à-dire que l’employé lui-même est son propre manager, autonome et responsable. Il y a pour cela des outils qui permettent de développer la confiance en soi ou la prise de décision, par exemple. Puis le management opérationnel qui s’oppose à la hiérarchie en entreprise et qui s’organise en cellules par projets avec un capitaine élu pour une période comprise entre 1 et 3 ans. Dans la même logique, le comité de direction est constitué à 80% de membres fixes et à 20% de collaborateurs qui tournent chaque mois et disposent exactement des mêmes pouvoirs que les membres du comité.
Enfin, le management relationnel qui consiste à laisser l’employé libre de choisir parmi plusieurs professionnels son RH personnalisé ; il peut lui faire part quand il le souhaite des aspects positifs ou négatifs de son travail. Souvent, dans les entreprises, le chef de service est aussi manager, donc le business est souvent privilégié au détriment de l’humain. Chez nous, le bien-être du salarié est au cœur des préoccupations.
Quelles sont les différences par rapport à une entreprise dite « classique » ?
CT. : L’entreprise libérée signifie qu’une partie des bénéfices de l’entreprise sont redistribués entre tous les salariés. Avec la mise en place du télé travail, Agesys a économisé 100 000€ et évité surtout les risques routiers avec 340000kilomètres et 3200 heures en moins sur les routes l’an dernier. Cette économie à hauteur de 100000€ nous a permis notamment d’organiser trois conventions à l’étranger (Bangkok, Dubaï et Rio de Janeiro) pour tous nos collaborateurs en invitant également les conjoint(e)s, ce qui est peu courant dans les PME.
Quels effets pouvez-vous observer aujourd’hui ?
CT. : Les effets sont multiples : le taux d’absentéisme est très faible et le turn-over ne dépasse pas les 5 % alors que, à l’échelle nationale, il est compris entre 15% et 20% dans les entreprises de notre secteur d’activité. Depuis la mise en place de ce concept, les performances économiques sont très bonnes avec une croissance annuelle autour des 10%. Enfin, selon l’indicateur IBET, qui mesure le degré de bien-être au travail, 87% des collaborateurs d’Agesys se disent satisfaits de leurs conditions de travail quand la moyenne nationale ne frôle que les 70% dans notre branche professionnelle. Nous avons également mis en place un baromètre du bonheur sous forme de questionnaire auquel le salarié répond chaque mois. Nous constatons beaucoup plus de demandes spontanées de la part des collaborateurs. Aujourd’hui, notre concept répond aux attentes de la nouvelle génération, à savoir la polyvalence, la responsabilité au travail, l’absence d’une multitude de règles et une meilleure répartition du pouvoir.
Que pensez-vous de la semaine de 4 jours, mise en place dans des entreprises au Japon ?
CT. : C’est, en effet, un sujet de réflexion. Nous aimerions l’installer mais il existe un certain nombre de contraintes, à savoir la synchronisation compliquée avec nos clients qui travaillent du lundi au vendredi. Puis, ce sont quatre journées de travail intenses que les collaborateurs ne souhaitent pas forcément, et nous ne pouvons pas leur imposer.